On l’attendait comme un bon pain à sa sortie du four. On a dévoré l’autoportrait écrit par les scénaristes de cinéma associés (SCA). Lumière sur ces plumes de l’ombre.
« Prends l’oseille et tire-toi »
Ça c’était l’âge d’or du cinéma. A Hollywood. De ce côté-ci de l’Atlantique, l’industrie du cinéma continue de faire rêver mais le métier de scénariste dans la vraie vie semble un peu moins enviable à la lecture du livre « Scénariste de cinéma, un autoportrait », paru chez Anne Carrière en mars 2019.
En six chapitres, nos camarades du SCA (scénaristes de cinéma associés), qui écrivent -on aura compris- pour le cinéma, dressent un portrait de leur profession. La précarité et l’intranquillité dominent. Les délais de paiement sont longs, parfois inexistants notamment quand le paiement est prévu à la mise en production et que cette étape n’a finalement pas lieu…. un scénariste expérimenté rappelle ainsi que « la part de l’à-valoir reçu avant la mise en production, est très variable selon la nature des projets et des producteurs. Et aussi en fonction du moment où l’on intervient dans le projet. Je dirais que pour un projet sur lequel je suis présent dès l’origine cela peut aller dans les cas favorables de 80% réglés avant la mise en production à 30 % seulement, pour les films les plus fragiles. »
Et le SCA de rappeler que contrairement à la majorité des autres collaborateurs artistiques et techniques d’un film, qui eux perçoivent un salaire pour chaque jour travaillé, les scénaristes mettent systématiquement en risque une partie de leur rémunération. Il faudrait une rémunération adaptée au temps de travail. Or ce n’est pas le cas. Du tout.
« Péril en la demeure »
La peur est également assez présente chez les scénaristes de cinéma. Ainsi, une scénariste témoigne : « Souvent il faut réclamer pas mal de fois avant d’être payé. Il m’est arrivé de ne jamais obtenir ma rémunération et je n’ai pas osé faire un procès pour ne pas être grillée dans le métier. »
On pourrait égrener la liste des difficultés pendant un moment et pointer aussi le jeu d’équilibriste entre différents projets/histoires. L’absence de chômage ou de congés payés…. Avec une soixantaine de témoignages recueillis, l’esquisse du métier est douloureuse, rêche, amère…. Tout cela est vrai.
Et pourtant, quel humour et quel amour dans ce livre !
D’abord, le premier chapitre est une scène mettant en scène un scénariste en plein interrogatoire policier. C’est vrai qu’après tout, ce métier sort des clous et a du mal à être appréhendé, cerné, identifié. Un scénariste au cinéma, c’est l’homme/la femme invisible. Donc un héros. C’est juste et… drôle. Et là, chapeau bas, pour avoir su prendre autant de distance.
Mais ce qui saute aux yeux, c’est vraiment l’amour déclaré des scénaristes à leur métier. L’un d’entre eux déclare : « En tant que scénariste, il m’arrive parfois, fugitivement, de me sentir écrivain, et parfois, fugitivement, artiste…. Mais surtout, de temps en temps à ma place. Ces petits moments de grâce sont une vraie joie. J’en ai parfois ras le bol mais je ne sais rien faire d’autre et je garde encore l’espoir d’écrire un jour un film dont je puisse me dire : « Oui, celui-là est pas mal, ça valait le coup »
Ce livre est à la fois un rappel pour scénariste en exercice mais aussi pour scénaristes en devenir et sans doute un appel du pieds aux autorités et aux responsables du secteur.
On sait mieux où l’on avance. Dans quel univers. C’est une mine d’infos. Et si une lecture rapide peut laisser entrevoir un certain désenchantement sur les conditions d’exercice, il n’empêche qu’en tombant sur une phrase prise au hasard, on en garde une belle émotion. La voici :
« Ne rien lâcher, et surtout pas ses désirs et ses ambitions ».
A lire : Scénaristes de cinéma associés, un autoportrait, Anne Carrière, 244p, 17 euros.
MEMO : Nous organisons une masterclass à la Sacd avec les auteurs du SCA, le 18 avril 2019. Nous vous y attendons nombreux. RDV sur notre page facebook pour les détails.
A.L.