Le 20 février dernier, Séquences7 recevait des consultants en scénario, en partenariat avec les lecteurs anonymes. Ce qu’ils apportent au scénario, à l’auteur… On vous dit tout.
Pour cette masterclass, nous recevions sur la scène de l’auditorium du Café des auteurs (SACD) cinq consultants. Co-présidente des lecteurs anonymes, scénariste, réalisatrice, lectrice, mais également psychanalyste, Sophie Muller en est naturellement venue à être consultante. Nolwenn Lemesle est scénariste et réalisatrice, mais aussi consultante notamment au groupe ouest. Yacine Badday est scénariste, réalisateur et consultant, également au groupe ouest. Yasmine Louati a été lectrice pendant des années pour plusieurs grands groupes avant de passer de l’autre côté du stylo et de devenir consultante. Enfin, Alain Layrac a eu une longue carrière de scénariste et de consultant.
Ils ont bien voulu nous faire partager leur expérience au service du scénario.
Consultant, Script Doctor ou co-auteur… Une philosophie derrière la terminologie.
Au premier abord, les termes de Consultant et de Script Doctor semblent désigner la même chose. Mais comme le fait remarquer Yasmine Louati : “Script Doctor est un terme américain et en France c’est un peu un gros mot.” On préfère donc parler de Consultant, d’autant que le terme américain semble renvoyer à une philosophie du métier différente. Aux États-Unis, le Script Doctor est forcément lui-même scénariste et il participe à la réécriture, il reprend souvent le scénario une fois terminé dans un délais de travail court pour des raisons qui concerne purement la production, comme des questions de budget ou de casting, sans nécessairement impliquer les auteurs originaux.
Pour sa part, le Consultant peut intervenir sur un point précis de dramaturgie, comme l’explique Alain Layrac : “Moi ce qui m’intéresse c’est les sentiments. On m’appelle principalement pour ramener de l’émotion dans un film.” Mais, sauf exception, il ne réécrit pas lui-même. Un travail qui nécessite donc une certaine distance et des interventions sur des périodes courtes. C’est que le consultant doit poser des limites claires avec l’auteur autant qu’avec le producteur, explique Nolwenn Lemesle, “je donne trois séances de trois ou quatre heures, mais j’accepte que l’auteur m’appelle entre les séances, sinon c’est trop frustrant pour lui.” Cela, d’une part, pour préserver la vision de l’auteur, mais surtout car son rôle est d’apporter une expertise ponctuelle et non de devenir co-auteur. Un co-auteur doit s’impliquer sur un projet totalement, pour plusieurs années. “J’ai compris qu’au-delà du fait d’écrire ou pas, la différence c’est surtout que lorsque je suis co-auteur, le film ne me quitte jamais”, confesse Yacine Badday.
Le consultant tient du psychanalyste.
Si le consultant n’est pas là pour ré-écrire le film, il est plutôt là pour poser un diagnostic et aider les auteurs à trouver leurs propres solutions. “Un auteur, il faut l’aider à accoucher, avoir la révélation qui le fait avancer, plutôt que de lui donner la solution”, précise Sophie Muller qui est également psychanalyste. Alain Layrac, à qui l’on fait parfois appel en tant que Script Doctor pour ré-écrire lui même des scénarios en urgence, compare avec le travail de consultant et conclut : “C’est davantage un travail de psy, je trouve.” Chacun des intervenants a insisté sur l’importance de l’écoute et de la bienveillance. “Il n’y a pas d’ascendant, insiste Yacine Badday, je sais que je pourrais être de l’autre côté, je suis aussi un auteur à qui on refuse des projets.” Ce que confirme Nolwenn Lemesle lorsqu’elle aborde sa méthode de travail : “On discute beaucoup. Ça permet de faire venir à la conscience des choses que l’auteur sait, qui le guident.”
Car le risque est qu’en prenant trop les rênes, l’auteur se crispe et voit le consultant comme une menace pour sa vision du projet ou qu’il occasionne une démission. Il faut éviter “que l’auteur décide de le laisser faire comme un gourou” et donc il ne faut pas “prétendre amener des solutions toutes faites”, met en garde Yacine Badday. Un constat que nuance Yasmine Louati : “Au tout début, je mettais un point d’honneur à tourner autour du pot. Mais j’hésite moins car toutes les solutions que j’ai proposées, les auteurs en général ne les prennent pas, mais ça les aide à trouver leur propre solution.” C’est donc un équilibre à trouver, qui implique d’apprendre à connaître l’auteur et de comprendre ses besoins avant toute chose.
On fait souvent appel à un consultant… trop tard.
Naturellement, faire appel à un consultant représente un coût et il arrive donc que des producteurs repoussent ce recours au consultant jusqu’à l’étape du dialogué. Alors que le consultant permet justement de régler les problèmes en amont. “Le problème ne vient jamais des dialogues, il vient des personnages” prévient Alain Layrac qui a souvent été confronté à ce cas : “Le producteur n’a pas l’idée de faire appel à un consultant, il attend d’avoir le scénario et appelle si ça ne va pas.” Un problème qui concerne souvent les productions les plus fragiles, qui sautent les étapes faute d’argent. “Il faut éduquer dessus. Sensibiliser à l’étape du développement” conclut Sophie Muller. Faute de moyens, certains films d’auteurs doivent parfois même passer du synopsis directement aux dialogues, brûlant des étapes précieuses. Ce qui n’est pas sans conséquences. “On récupère des textes incohérents”, met en garde Yasmine Louati. “On décide souvent pour des questions d’économies de laisser l’auteur faire seul, même s’il a besoin d’un co-scénariste” renchérit Nolwenn Lemesle. “On préfère souvent payer un consultant, puis finalement on est obligé d’en payer trois”, tant les problèmes se sont accumulés.
Tout cela vient souvent d’un trop plein d’investissement des producteurs dans un savoir scénaristique qu’il n’ont pas forcément acquis. “Il faut apprendre à lire un scénario”. Pour Nolwenn Lemesle “quand ils font part de leur retour en terme d’intention et impression, c’est toujours intéressant mais quand ils donnent des prescriptions… ça ne va pas.” Alors quand faut-il faire appel à une aide extérieure pour ne pas rater cette étape cruciale du développement ? Concernant les lecteurs, “on ne les demande pas sur des synopsis mais toujours sur du dialogué et c’est dommage” regrette Alain Layrac. Si l’auteur ne s’en sort pas, il faut faire intervenir un co-auteur le plus tôt possible. Puis vient ensuite un consultant. Pour Alain Layrac, le moment idéal pour faire appel à un consultant, serait “au moment où on a une structure, traitement ou séquencier, mais pas encore de dialogué.” Un travail d’écriture plus collective est donc souhaitable pour le bien du scénario. Une mentalité qui s’est peu à peu imposée dans la série TV, mais qui peine à s’étendre au cinéma, notamment d’auteur. “Les auteurs-réalisateurs sont très seuls” constate Nolwenn Lemesle et certains ont peur d’être dépossédés de leur oeuvre, d’où l’importance du lien humain dans le choix du consultant.
T.C.